Travailler avec les Autochtones

Une déception, une autre. Depuis dix ans, je ne m’habitue pas. Les gens qui devaient venir nous visiter et manger avec nous au Collège ont annulé la rencontre à la dernière minute. J’avais fait préparer un dîner pour quarante personnes. Je fais quoi avec toute cette bouffe?

La raison de l’annulation: les jeunes ont bu et fait des bêtises en ville hier soir, alors on les remet dans le bus et zou! retour direct au bercail. Visite confisquée. Trois accompagnateurs, le visage long comme ça, gênés comme ça se peut pas, sont venus m’annoncer la nouvelle ce matin. Bon, d’accord, on va se reprendre une autre fois, nous irons vous rendre visite là-bas, dans votre communauté. Ne vous en faites pas, on comprend. J’avais bien pensé que, vu qu’ils dormaient à l’hôtel, au Centre-Ville, ce genre de chose était possible. En fait, je n’étais presque pas étonnée. Après dix ans, j’en ai vu d’autres.

Travailler avec les Autochtones, c’est souvent comme ça. Décevant. On est déçu parce qu’on a des attentes, de belles grandes attentes blanches estampillées « Réussite », « Performance », « Agenda ». Et eux, leurs attentes? Quelle est leur façon d’envisager la réussite? Regardons un peu la situation.

Il y a environ 80 000 Autochtones recensés au Québec, rattachés à une cinquantaine de réserves et provenant de 11 nations différentes. Des chiffres? 0,3 des enfants qui débutent la maternelle cette année obtiendront un diplôme d’études supérieures (collégial et plus), contre près de 60% pour l’ensemble du Québec. Un leitmotiv sinistre plane sur toutes les communautés, hante les coeurs encore barbouillés de honte de ces peuples à qui, il n’y a que très peu de temps, on interdisait encore de parler leurs langues, et que bon nombre de Québécois méprisent toujours, allez comprendre pourquoi. Ce leitmotiv, c’est: « Ça ne vaut pas la peine ». Ça ne vaut pas la peine d’essayer de te bâtir un patrimoine: selon la loi sur les Indiens, tes biens ne sont pas saisissables et on ne voudra pas te prêter de sous puisque tu ne peux pas garantir tes emprunts; selon la même loi, de toute façon, tu ne peux pas faire de testament valide sans la signature du ministre des Affaires Autochtones. Ça ne vaut pas la peine d’aller à l’école: tu ne trouveras pas d’emploi chez toi (pas d’employeurs faute de développement économique), et ailleurs on refusera souvent d’engager un Indien. Ça ne vaut pas la peine de voter lors des élections: qui se soucie de toi? Ça ne vaut pas la peine… Résultat: les jeunes autochtones se suicident six fois plus que l’ensemble des jeunes québécois, qui détient déjà le triste record du monde en la matière.

Travailler avec les Autochtones, en éducation, c’est oeuvrer à changer le leitmotiv. La réussite, c’est revenir dans sa communauté convaincu que « Ça vaut la peine » et transmettre cette idée aux jeunes. La performance, c’est parvenir à semer des rêves dans ce terreau désespéré. L’agenda, c’est au rythme de leur parole que nous devons accepter d’entendre.

J’ai reçu tout à l’heure des photos d’un petit bébé flambant neuf. Sa maman a étudié dans mon collège. Ses études se sont poursuivies en dents de scie, interrompues par des problèmes de toutes sortes, consommation, tentatives de suicide, violence… Elle a persisté. C’est une guerrière. Elle sera professeure de français dans son village, et elle est douée je vous l’assure. Sa réussite, c’est d’avoir compris que « Ça vaut la peine de rêver » et d’être retournée chez elle pour semer de l’espoir. Sur la photo qu’elle m’a envoyée, elle sourit, ma belle amie, avec tellement de fierté, et elle signe sous son nom: Kisakinin Amiskwew. Je t’aime Femme Castor. Ne riez pas: la femelle castor est réputée pour la grande sagesse avec laquelle elle prend soin de son clan et protège son territoire. Rien à voir avec mes incisives.

Les jeunes qui devaient venir nous visiter ce matin et qui ont été privés de visite pour salaire de leurs bêtises, ils savent que la porte est ouverte. Que ça vaut la peine de revenir. Et moi je le sais aussi.

Matcaci tout le monde, kitce migwetc. Au revoir, grand merci.

4 réflexions au sujet de “Travailler avec les Autochtones”

  1. Marie-Christine,
    Je t’admire. Tu es si ouverte, si compréhensible sur cette réalité que nous cherchons toujours à occulter. Tant qu’on en parle pas on a pas à s’en occuper. Mais toi, non, tu refuses l’abnégation, tu nous prends par la main pour nous arrêter le temps de nous faire part de ton commentaire et tu fais bien. Tu mérites, ils méritent, que l’on prenne le temps de vous écouter. Bravo et merci d’être ce que tu es.
    S.-C.

  2. L’histoire de la goutte d’eau…

    C’est une goutte d’eau qui est sur une branche et tombe dans une flaque d’eau… elle demande aux autres si c’est ici le grand rassemblement? non non c’est plus loin… va alors vers un ruisseau… demande encore si c’est ici le grand rassemblement? non non plus loin… se retrouve dans une rivière?… non non… c’est encore plus loin… va dans un lac… toujours allée plus loin… se retrouve dans un grand lac… waouw… ca doit être ici… et non va plus loin… se retrouve dans l’océan… oui oui!!! enfin… une pluie tombe c’est la fête… mais soudainement se retrouve sur une branche!?… Elle connait le chemin à parcourir maintenant… elle devient un guide pour les autres…

  3. Comme tu as raison ma belle amie. Je viens de terminer de donner mon cours sur les sociétés autochtones, et j’ai parlé de l’arrivée de ton groupe… Je les ai sensibilisés aux problèmes et au manque d’écoute de ceux qui ne se souviennent pas…
    Lâche pas. Moi non plus, je lâche pas. J’en parle parle depuis 1988 et je n’arrêterai jamais d’en parler à ceux et celles qui veulent écouter, et ceux et celles qui ne veulent pas l’entendre aussi…
    Luv

  4. bravo…. il faudrait plus de gens qui s’exprime sur le sujet des autochtones, et il faudrait qu’eux memes nous disent ce qu’ils attendent de nous….. veulent-ils qu’on en parle ou qu’on les laisse parler ….?? je ne sais pas mais je crois que ca vaudrait la peine de leur demander….. ce sont des gens fieres et a toutes les fois ou presque , que les blancs s’en sont melé ca n’a pas rapporter ce qu’ils auraient voulu… donc… en 2009 sommes nous prets a les écouter vraiment ou encore a leur imposer mais d’une facon plus diplomatique….. il faut qu’ils soient eux memes ils sont beaux, ils pourraient nous en apprendre donc il faudrait que nous soyons vraiment a l’écoute
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